Du sang bleu, blanc et rouge, s’il vous plaît
À Montréal rugit une passion pour la Sainte-Flanelle depuis plus d’une centaine d’années. De la voix de Michel Lacroix annonçant la culmination d’une belle pièce de jeu aux doigts magiques de Diane Bibeau, les âmes des partisans s’encensent au son de la glace qui mord, coupée par les lames. Le sang qui coule dans les veines des Montréalais n’est plus monochrome : il est bleu, blanc et rouge. Tels des daltoniens, les partisans peinent à reconnaître les couleurs qui les représentent : une véritable crise identitaire est en branle. Nombreux sont ceux qui voudraient plus de Québécois sur la glace du Centre Bell. On prétend que le tricolore, après tout, doit représenter et intégrer la laine la plus pure, sans quoi il perdrait son identité. Et une laine bleue, si possible.
Les Québécois ont fondé les Canadiens. Guy Lafleur, Maurice Richard, Guy Carbonneau, Patrick Roy ; de grands noms qui resteront à tout jamais gravés dans le tissu identitaire des amateurs. Sauf que dans les années 90, c’était Gainey, Robinson, Näslund et Chelios. On s’accroche au passé mythique tel un enfant qui refuse de jeter son ourson en peluche à l’âge de 12 ans, par peur de perdre ce qui le définit, par peur d’un avenir incertain, qui en arracherait les racines. On veut gagner, mais à quel prix? Vaut-il mieux perdre un match que de se perdre soi-même ? Les Canadiens de Montréal sont-ils des Québécois ?
Le sang circulant des veines de la galerie de presse, au banc des joueurs, au complexe de Brossard n’est pas pompé d’un cœur commun. De la Russie aux États-Unis, les embryons de ses nations portent les couleurs d’ici. Faut-il remarquer que les couleurs bleu, blanc et rouge sont aussi sur ces drapeaux. Mais ce ne sont pas nos bleus, blancs et rouges. On le voudrait bleu, juste bleu, ce sang ; mais un tel sang manque d’oxygène, de souffle. C’est son cycle, son changement et son mix éternel, passant d’un bleu, puis à un rouge, telle une roue sans fin, qui signale sa vitalité.
Drouin, Danault, Bouchard, Julien, Ducharme, Bergevin. C’est bleu, mais pas assez. Plus. De. Bleu. Ça ne représente pas qui les Canadiens sont. Mais qui sont-ils? Est-ce du ressort des amateurs de définir une entreprise ? Est-ce un souhait commun qu’on perde nos habitants, au profit d’une identité qui est proprement québécoise?
Un pâtissier tente de remporter une compétition du meilleur gâteau, mais se restreint à des produits locaux. Il laisse une farine américaine de meilleur goût dans son placard, casse des œufs issus de poules malades, mais locales, et bat son mélange avec un fouet inefficace, parce qu’issu d’un bric-à-brac de la rue d’à côté. Peut-il se plaindre de rater le podium, année après année, sachant qu’il n’utilise pas les meilleurs ingrédients à sa disposition ?
C’est le philosophe Nietzsche qui avait déclaré : « le serpent qui ne peut pas jeter sa peau doit mourir. » La peau du serpent tricolore commence à se faire lourde. Depuis 28 ans, les Canadiens la traînent sur leurs dos, comme un porte-étendard désarmé. Qu’un drapeau, sans fusil, sans munitions, à la merci de la nature et de la guerre. Tenter d’imposer un critère à la réussite par vertu identitaire est fondamentalement contre-productif. On veut gagner, mais en bleu. On traîne ce vieil adage démodé : le ciel est bleu et l’enfer est rouge.
Les Canadiens de Montréal sont plus que des Québécois. L’identité et l’origine du joueur portant le logo du CH s’efface au moment où ce dernier l’arbore. Il devient un Canadien, un représentant de la ville et de la nation entière. Après tout, les joueurs se sont établis à Montréal avec leurs familles : ce sont des habitants.