Le cheval est mon égal
Il est environ 10 h du matin, il fait déjà presque 30° et j’ai chaud. Les gouttes de transpiration rendent mes poils collants et la selle me serre le ventre. J’ai faim et les épreuves de la veille m’ont fatigué. Pourtant, je sens l’excitation du jour ; ma cavalière a l’air étrangement sereine, mais je sens la pression qui plane au-dessus de moi. Je ne dois pas la décevoir. Je sais ce que je dois faire, je connais mon travail et elle me guidera vers les obstacles. Les trois sans-fautes qu’on a faits jusque-là l’ont rendue très heureuse et, même si mes courbatures commencent à tirer dans mes membres, j’ai le sentiment que c’est le moment le plus important de la semaine. Je ne dois pas flancher maintenant, je dormirai ce soir. Il y a beaucoup de bruit autour, les gens ont l’air d’être stressés et ça me donne envie de jouer. Pris dans l’excitation, je recule, puis me lève. Debout sur mes postérieurs, je me sens fier et je suis prêt à affronter les barres. La cloche sonne enfin, je reçois la pression des jambes de ma cavalière qui me donnent le départ et je sens ses mains se refermer sur ma bouche ; elle est prête également, donc je me lance au galop. J’ai décidé d’être très attentif, car je sens que cet évènement est particulier, l’ambiance est différente, alors je m’applique. Ma cavalière me conduit tout au long des huit obstacles du barrage, avec un rythme très soutenu, mais je tiens le coup. Je perçois qu’elle fait un effort particulier pour ne pas me compliquer la tâche, alors je la sauve également. J’oublie la chaleur, les courbatures, le bruit et la faim, je donne tous les efforts que je peux, m’élevant chaque fois un peu plus haut au-dessus des barres. Je sens que la course se termine, je sens les rênes me rassembler et me faire tourner sur les hanches. Ce doit être le dernier obstacle et, pourtant, pour une fois, ma cavalière ne me relâche pas. Elle maintient toute la tension dont j’ai besoin pour m’appuyer, et je décide de m’en servir pour partir une foulée plus tôt. Je suis de l’autre côté de l’obstacle et je sens tout mon corps se détendre. Ma cavalière me rend les rênes et me couvre de caresses. Elle est heureuse, je le sens, et je le suis moi aussi. Je ne peux pas dire exactement quel est le résultat, mais son bonheur est le seul que j’ai envie de connaître. Ses bras m’entourent, tout le monde est autour de nous et je sais que j’ai réussi.
Nous sommes troisièmes aux championnats de France de saut d’obstacles, et je le dois à 90 % à mon cheval. On dit souvent que l’équitation n’est pas un sport, et, en effet, c’est encore plus que ça. Le cheval est un animal, mais surtout un athlète qui donne son cœur sur la piste. Sa préparation physique et son entraînement sont tout aussi importants que sa préparation mentale. Un cheval est un animal d’environ 500 kg, alors, s’il décide de ne pas sauter, il ne saute pas. Aucun cavalier, aussi fort soit-il, ne pourrait contraindre un animal si puissant si ce dernier n’en avait pas lui-même envie. Mais si le cheval est l’athlète, le cavalier l’est également et son rôle est crucial. L’humain conduit, gère et encourage, l’animal applique, se donne et s’adapte. C’est un travail d’équipe, les décisions de l’un ou de l’autre sont interdépendantes et entraînent des conséquences. La réussite, c’est à deux qu’on l’obtient.
En plus d’un travail d’équipe, l’équitation est une relation fusionnelle. Un bon cavalier peut se débrouiller avec n’importe quel cheval, mais, pour exceller, il lui faut un animal qui le comprenne, et il doit comprendre son animal. Son animal qui est vivant, qui a des besoins et des envies, des jours avec et des jours sans. Chacun doit composer avec l’autre, mais l’un ne réussit pas sans l’autre. On ne doit pas soumettre un cheval, mais le convaincre de coopérer. Quand la coopération est à son comble, aucun obstacle ne peut nous arrêter. Mais si tu n’agis pas de la bonne façon, alors c’est toi, le cavalier, qui deviens l’obstacle.