L’équité frappe à la porte du RSEQ

Pour déconstruire le tabou, Fabrice Vil croit que le racisme doit être perçu comme étant une crise et non un crime : « On est capable de se dire que même inconsciemment, même avec les bonnes intentions, des fois, on contribue [à cette crise multifactorielle] ». Photo : Markus Spiske, Unsplash.

La montée du mouvement Black Lives Matter a éveillé des réflexions au cœur des différentes sphères de notre société : depuis novembre, des athlètes québécois ont adressé l’inaction du Réseau du sport étudiant du Québec (RSEQ) dans la lutte contre le racisme systémique dans les sports et ailleurs, au moyen de lettres publiées sur Instagram.

Le message de deux athlètes de l’Université Concordia, Keyara Valencia-Hinds et Nelly Owusu, a résonné chez d’autres étudiants de la province, qui ont à leur tour pris la parole. Cet enjeu ancré dans l’actualité de 2020 a soulevé des réflexions importantes. Comme plusieurs, le RSEQ a souligné son appui à la cause cet été en publiant le carré noir sur ses réseaux sociaux. Ne voyant pas de mesures ou d’actions concrètes être entreprises de sa part, les deux jeunes femmes ont décidé d’écrire à l’organisation pour clarifier leurs intentions. « On est plus qu’un carré noir, on est plus qu’une tendance. Nos vies continuent au-delà du terrain, du gymnase et de la patinoire. Le fait que [le RSEQ] ne dit rien, parle beaucoup en termes de ses priorités », remarque Keyara Valencia-Hinds, joueuse de rugby.

D’ici le retour des fêtes, avec les discussions, [le RSEQ] essaie de mettre en place des champs de travail en lien avec l’éthique, le respect, l’inclusion et la discrimination.

Stéphane Boudreau, directeur général adjoint du Réseau du sport étudiant du Québec.

Ayant d’abord essayé de joindre le réseau en septembre, c’est en novembre qu’elles ont choisies d’entreprendre une démarche publique dans l’espoir de rallier des membres à leur cause pour en appeler à la force du nombre et enfin recevoir une réponse. Le RSEQ a rappelé son code d’éthique au sujet de la discrimination en insistant sur le respect et le sérieux qu’il accorde à l’équité. Le directeur général adjoint du réseau, Stéphane Boudreau, est d’avis que le rôle du RSEQ n’est pas parfaitement compris. Il explique que ce n’est pas du ressort de l’organisation d’implanter cette vision et que les mesures doivent être mises en place au sein des établissements scolaires : « Les [membres de la direction du] RSEQ suivent les directives, les consignes, les orientations qui sont prises par les trois différents secteurs [scolaire, collégial et universitaire]. » De ce qu’il explique, le rôle reviendrait donc aux établissements d’enseignement.

Assumer son rôle de véhicule

Toutefois, tous ne partagent pas cet avis. Duane John, responsable sportif au Collège Montmorency, considère que, bien que le RSEQ soit conduit par les établissements membres, tous doivent se sentir interpellés. Il souligne qu’un « positionnement possible du réseau aurait pu être fait et peut être fait ». Lors d’un panel sur le racisme systémique dans les sports organisé par le Sommet du sport de Montréal, les trois panélistes présents ont reconnu la responsabilité de l’organisation dans le mouvement. L’un des invités, Martin Dusseault, fondateur-coordonnateur du programme Bien dans mes Baskets, remarquait d’ailleurs que « le RSEQ a accès à une centaine de milliers d’athlètes [et qu’] il y a aussi une responsabilité face à ça ». « C’est un réseau dans lequel ils peuvent avoir des intentions, dans le sens qu’on peut choisir d’agir sur certains sujets, et je pense que le réseau aurait du pouvoir là-dessus. » Fondateur de l’organisme Pour 3 points, Fabrice Vil, qui était lui aussi sur le panel, donne en exemple la campagne De Facto qui avait été mise en place en collaboration avec le ministère de la Santé et des Services sociaux pour dénoncer l’industrie du tabac. Il est donc possible, selon lui, d’entreprendre des actions concrètes pour favoriser la sensibilisation chez les étudiants. La panéliste Najwa Chami, arbitre en soccer membre du programme d’excellence provincial, ajoute que de simples petites actions peuvent apporter beaucoup à la cause. 

Le directeur général adjoint du RSEQ reconnaît que la lutte contre le racisme dans les sports est un projet de longue haleine qui doit être entamé et qui passe d’abord par l’éducation. « Si quelque chose se passe sur un terrain, les entraîneurs, les étudiants-athlètes et les arbitres peuvent faire quelque chose. Mais quand ça se passe dans les gradins, là, c’est une autre paire de manches. Il est là le défi : c’est ce qui se passe à l’extérieur du terrain, du plateau, de la glace », remarque-t-il.     

Un travail de collectivité

En ce sens, Martin Dusseault juge que les solutions pour apporter un changement doivent s’attaquer à trois différents niveaux : l’individu (athlètes et entraîneurs), le groupe (équipes et petites organisations) et la direction (politiques et grandes associations). Il relève la portée du RSEQ sur les communautés québécoises, qui présentent différentes réalités. Duane John croit que « c’est un peu là que notre réseau peut être un facilitateur, un acteur qui permet justement [de faciliter] cette communication-là, [d’un enjeu qui s’ancre dans la constitution du Québec et sa grandeur] dans la sphère dans laquelle nous travaillons, qui est le sport étudiant ». Keyara Valencia-Hinds, elle-même issue de la communauté noire et d’origine autochtone, témoigne du fait que le racisme se fait ressentir spécialement quand une équipe est visiteuse dans un autre secteur. Elle demande au RSEQ de s’assurer du bien-être et de la sécurité de ses athlètes et remarque l’importance d’éduquer l’entièreté du Québec sur ce problème qui n’est pas nécessairement abordé dans tous les coins de la province. « On dirait que [le RSEQ] ne ressent pas l’urgence d’agir, car ça ne les affecte pas directement. Alors, ils ne font que reporter [leur prise en charge] », estime l’athlète. 

Je pense que la COVID ne peut pas être un facteur qui nous permet de repousser des enjeux humains.

Duane John, directeur des sports au Collège Montmorency.

Le RSEQ est ouvert aux propositions et certaines discussions sur la problématique du racisme ont été entamées. Stéphane Boudreau annonce : « D’ici le retour des fêtes, avec les discussions, on essaie de mettre en place des champs de travail en lien avec l’éthique, le respect, l’inclusion et la discrimination. » Jusqu’à présent, les problématiques qu’apporte la pandémie, telles que l’annulation des sports et les troubles psychologiques des athlètes, accaparent le RSEQ. Bien que cela comporte des défis supplémentaires, Duane John explique sa vision : « Je pense que la COVID ne peut pas être un facteur qui nous permet de repousser des enjeux humains. […] C’est comme si, présentement, il y a une certaine vague et il faut garder cette vague-là à flot. » Il constate que des initiatives sont prises de manière locale, mais que rien n’a été enclenché dans l’ensemble du réseau.

Faire un premier pas

Pour mettre l’épaule à la roue, celui qui a aussi été nommé responsable des sports de l’année 2020 par l’Association canadienne du sport collégial a convié tous les athlètes et les entraîneurs du Collège Montmorency à une réunion en vidéoconférence pour une discussion avec Fabrice Vil portant sur un documentaire sur le racisme auquel ce dernier a participé. Keyara Valencia-Hinds, de son côté, a orchestré six ateliers Let’s talk about race au sein de son équipe. En distribuant des documents informatifs et en ouvrant la discussion, elle a permis à plusieurs de réfléchir sur le racisme et d’ainsi en déconstruire le tabou. Derrière ce type d’initiative, il y a indéniablement une intention claire de conscientiser les jeunes aux réalités des minorités visibles dans les sports et ailleurs.

2020 a été une année majeure qui a ravivé plusieurs aspects sociaux. Duane John espère qu’avec le temps on se souviendra de cette année comme un moment marquant qui s’inscrit au-delà de la pandémie : « Se dire qu’en 2020, c’est là que des communautés, des gens, ont pris en main l’enjeu [du racisme, ont tenu d’ouvrir les discussions], de s’éduquer, de s’informer. Il y a des gens qui ont décidé que c’était fini tout ce qui se passait en lien avec le racisme. »  

Élise Fiola

Ayant grandi avec les matchs du Canadien de Montréal en trame sonore, Élise Fiola a toujours eu un timide intérêt pour le journalisme sportif. Aujourd'hui, elle se lance dans ce projet la tête première. Ayant pratiqué le flag football et la natation au cours de son secondaire, c'est à l'âge de 9 ans qu'elle a trouvé son sport de prédilection : le basketball. Démarquée par son esprit d'équipe, Élise est l'une des deux premières collaboratrices au Club-École. Étudiante au baccalauréat en journalisme à l'UQAM, elle a à cœur la place des femmes dans le monde du sport et tâchera de dépeindre ces enjeux féministes dans ses articles.

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