Les Joueuses #paslàpourdanser : Sororité et respect
Vous dire le bonheur que j’ai eu lorsque j’ai découvert un équivalent féminin au mot fraternité. Ce terme ne rendait pas assez hommage à la solidarité démontrée par les joueuses de l’équipe féminine de Lyon dans le documentaire Les Joueuses #paslàpourdanser. Le film propose une immersion dans la suprématie sportive de ce groupe, consécutivement quatorze fois championnes de France et quintuples championnes d’Europe. Près de 90 minutes de sororité et de respect proposées par la réalisatrice Stéphanie Gillard.
Avant toute chose, l’utilisation de la première personne sera de mise dans ce papier. Je n’ai jamais chroniqué sur un objet culturel et aussi bien me sortir de ma zone de confort à 100%. Le visionnement du documentaire est allé me chercher et j’ai pu faire plusieurs parallèles avec ma vie personnelle. En effet, à très très très petite échelle, l’entraîneur d’équipe féminine en moi s’est senti interpellé et touché par la force de ce groupe que forme l’équipe féminine lyonnaise. L’analyse du long-métrage ne peut donc pas se faire de manière froide et analytique.
Partir de loin
Bien des années ont passé depuis le premier match de soccer féminin disputé en France. 103 en fait. Exactement un demi-siècle vient de s’écouler depuis la reconnaissance du soccer féminin par la fédération française. Malgré tout, il a fallu attendre jusqu’en 2018 pour voir un premier Ballon d’Or décerné à une joueuse féminine. La toute première lauréate, la Norvégienne Ada Hegerberg, de l’Olympique lyonnais (tiens, tiens), signa alors une tribune intitulée Not Here to Dance (pas là pour danser) suite à son prix, bien évidemment pour réagir à une blague stupide et misogyne posée lors de la remise du trophée.
Les athlètes féminines partent de loin. Surtout en club. Wendie Renard, capitaine et joueuse la plus capée de l’histoire de l’OL féminine, témoigne de la professionnalisation de l’équipe. Arrivée en 2006, la défenseure est passé de joueuse amateure à signer son premier contrat professionnel en 2009, alors que l’Olympique lyonnais était la première équipe à traiter les athlètes féminines comme telles. Les autres équipes ont emboîté le pas très rapidement, comme quoi il faut prendre des risques, et les précurseurs seront suivis.
Le respect d’abord, le reste suivra
Le soccer féminin, aussi bien en club qu’en équipe nationale, n’a pas la moitié du respect qu’il mérite. Je ne crois pas vous apprendre quelque chose ici. Jessica Fishlock, joueuse galloise qui évolue pour son équipe nationale depuis 2006, parle des conditions horribles de travail auxquelles les athlètes devaient faire face il y a de cela pas si longtemps. Hegerberg, meilleure joueuse au monde, a refusé ses sélections en équipe norvégienne pour protester contre les conditions dans lesquelles les joueuses évoluent en sélection nationale.
Le débat tourne souvent, et malheureusement, sur le salaire des joueuses qui diffèrent grandement de celui des athlètes masculins. Bien que problématique, l’enjeu est bien loin de se résumer à l’équité salariale. Selon Fishlock, l’argent suivra si le respect y est.
Ne pas être traitées avec respect et ne pas être traitées comme des professionnelles, c’est bien pire qu’Ada [Hegerberg] qui ne touche pas autant d’argent que Messi ou Ronaldo.
Jessica Fishlock (extrait tiré de la bande-annonce).
Bien sûr, l’argent doit faire partie intégrante du débat. Le soccer féminin est souvent décrit comme moins spectaculaire et plus lent. La réalisatrice Stéphanie Gillard pointe le fait que le soccer féminin est filmé avec trois caméras alors que les matchs des hommes en nécessitent 15. « Les mises en scène des matchs de football masculins sont sur-découpées, explique-t-elle, plus on découpe, plus cela va vite. En mettant les mêmes moyens pour les femmes en termes de nombre de caméras et de découpage, on aura le même sentiment! »
Sororité
Stéphanie Gillard s’est invitée dans le quotidien de l’équipe féminine de l’OL entre les mois de février et mai 2019. Cette période, où s’amorce et se termine le dernier droit de la saison, est charnière pour les équipes qui jouent sur plusieurs compétitions. Malgré tout, une sérénité demeure chez ces athlètes. Entre les discussions de vestiaire et les compétitions amicales à l’entraînement qui nous arrachent un sourire, les joueuses semblent solidaires et soudées comme jamais. D’ailleurs, l’entraîneur-adjoint de l’équipe a confié à Gillard « qu’il n’avait jamais vu un tel esprit d’équipe, avec le plaisir de jouer, de travailler, d’être ensemble ».
Les moments de doute, bien normaux, sont souvent apaisés par l’omniprésente Wendie Renard. Selma Bacha, recrue de seulement 17 ans au moment du tournage, se confie sur ses angoisses et la pression qu’elle ressent en tant que professionnelle. Renard joue la grande sœur avec brio dans une scène qu’aucun autre documentaire sportif n’aurait reniée.
Encore du travail
Le documentaire Les Joueuses #paslàpourdanser regroupe ce dont le soccer féminin a besoin : de la visibilité, des personnalités et de bonnes têtes pour recentrer le débat au bon endroit. Le travail tout en sobriété de Stéphanie Gillard mérite d’être salué. Dommage pour le long-métrage que certains matchs n’aient pas pu être diffusés à cause des droits de télévision.
J’ai été extrêmement touché de m’incruster dans le quotidien des joueuses de l’Olympique lyonnais. Je suis d’autant plus content de pouvoir être en mesure de mieux comprendre les problématiques et les demandes de ces athlètes qui, au final, pratiquent le même sport que les hommes en y mettant les mêmes efforts. Dans cette quête de respect, les joueuses gardent la tête haute et continueront à foncer sororalement vers ce qui leur est dû.
Les Joueuses #paslàpourdanser, sélection officielle du Festival du film francophone d’Angoulême, est au cinéma en France depuis le 9 septembre. Aucune date de sortie n’est prévue au Canada pour l’instant. Le Club-École fera un suivi pour un éventuel lancement canadien.