La limite de la jeunesse aux olympiques

La planche à roulette a fait jaser cet été lors des Jeux de Tokyo en raison de l’âge peu élevé de plusieurs athlètes qui prenaient part aux différentes épreuves. Photo: Greyson Joralemon | Unsplash

La situation entourant la patineuse Kamila Valieva est l’occasion parfaite pour se poser la question sur la pertinence d’envoyer des athlètes d’âge mineur aux Jeux olympiques.

«Terrible, terrible, terrible», voilà les mots employés par l’analyste Alain Goldberg alors que Kamila Valieva chute pour une énième fois durant son programme libre lors de la compétition individuelle féminine en patinage artistique aux Jeux olympiques de Beijing.

«Terrible», c’est toutefois bien plus que le mot qui peut décrire la performance de celle qui était vue comme la grande favorite pour remporter l’or à cette épreuve et qui a finalement terminé au pied du podium. C’est plutôt le mot qui décrit la situation de controverse dans laquelle la patineuse du ROC a été plongée et le dénouement de celle-ci.

Kamila Valieva est, depuis quelques jours, au cœur d’une polémique qui traite sans surprise de dopage. En effet, on apprenait le 8 février dernier que Valieva avait échoué un test antidopage, ce qui remettait en question la légitimité de la médaille remportée par le ROC à l’épreuve par équipe ainsi que la participation de Valieva elle-même à l’épreuve individuelle.

Lorsqu’il est question de dopage, la décision de suspendre ou non l’athlète relève du comité olympique national. Après une suspension temporaire par l’agence antidopage russe, le ROC a finalement décidé de fermer les yeux sur cette situation et a autorisé sa vedette à continuer sa participation aux olympiques.

Pourquoi? Parce que le ROC avait besoin que Valieva prenne part à l’épreuve, non seulement pour optimiser leurs chances de remporter l’or, mais bien pour rafler le podium au complet.

L’International Skating Union (ISU), l’Agence mondiale antidopage (AMA) et le CIO s’y étaient opposé et ont donc été jusqu’en cour devant le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) afin de tenter d’exclure Valieva de l’épreuve individuelle. Après les délibérations, le TAS s’est rangé du côté du ROC en permettant à la patineuse russe de poursuivre son aventure olympique. Cette décision avait poussé le CIO à annoncer qu’il n’y aurait pas de cérémonie de médaille officielle pour l’épreuve si Valieva devait monter sur le podium.

Dans le communiqué expliquant sa décision, le TAS a qualifié de «préjudice irréparable» l’action d’empêcher la patineuse de prendre part à la compétition.

Toutefois, la décision de permettre à Valieva de participer à l’épreuve individuelle lui a plutôt permis de devenir la cible de moqueries et de messages haineux, de recevoir des critiques sur sa performance ratée en raison de la pression du public et de s’écrouler en larme au beau milieu de l’aréna olympique, devant des milliers de téléspectateurs ravis de la voir échouer. Tout cela à 15 ans, encore faut-il le rappeler. En plus, au lieu de la consoler ou de l’encourager comme tout bon entraîneur qui se respecte aurait fait à sa sortie de la patinoire, son entraîneuse s’est plutôt mise à elle aussi critiquer sa performance.

Si ça ce n’est pas un «préjudice irréparable», je ne sais pas ce qui l’est.

Un article de Robert Frosi publié sur le site de Radio-Canada dévoile justement le personnage de Eteri Tutberidze l’entraîneuse de Kamila Valieva.

Cet article fait notamment état des nombreux problèmes d’anorexie chez les patineuses russes en raison du mode de vie, du programme d’entraînement et des attentes de cette femme.

Au cas où certains auraient oublié, Kamila Valieva a 15 ans. Elle n’en a pas 20, 25 ou 30. Elle a 15 ans et elle doit subir cette pression et ces conditions. Vous voulez parler de préjudice irréparable? Permettez-moi de douter qu’elle n’en gardera pas des séquelles pour le reste de ses jours. Parce qu’au lieu de s’amuser avec ses amies et de profiter de la simple vie d’une jeune adolescente de 15 ans, Kamila Valieva subit plutôt un mode de vie que même plusieurs athlètes d’expériences refuseraient d’endurer.

Tout ça pour finalement terminer au pied du podium. Une 4e place aux Jeux olympiques à 15 ans, ça relève de l’exploit, mais pour les Russes et Valieva, ce sera malheureusement vu comme un échec lamentable. Encore une fois, les Russes font les manchettes pour les mauvaises raisons et perdent la face devant le monde pour leur gestion honteuse d’un scandale olympique. Parce que pour eux, ce qui compte, ce sont les les résultats et tous les moyens sont bons pour y arriver.

Arrêter le train avant qu’il ne soit trop tard

Le fait d’avoir des athlètes de moins de 18 ans qui prennent part aux compétitions olympiques ne date toutefois pas de cette année. La gymnastique artistique aux Jeux olympiques d’été est reconnue pour la prédominance des mineurs dans cette discipline et le patinage artistique n’en est pas à sa première jeune.

Au cours des douze derniers mois cependant, les comités olympiques nationaux ont repoussé les limites de l’acceptable. En effet, Kamila Valieva n’est pas la plus jeune athlète à avoir pris part aux Jeux dans la dernière année puisqu’à ceux de Tokyo l’été dernier, la planche à roulettes a fait ses débuts au programme olympique. La tête d’affiche de cette épreuve: la jeune Britannique Sky Brown, 13 ans.

13 ans…

13 ans c’est l’âge moyen d’un étudiant en première année du secondaire. À 13 ans, on peut également encore fréquenter certains camps de jour du Québec. En fait, 13 ans c’est tellement jeune, que c’est même trop jeune pour être admissible aux Jeux olympiques de la jeunesse, qui sont ouverts aux athlètes de 14 à 18 ans.

D’ailleurs, à quoi servent-ils ces Jeux de la jeunesse si ce n’est pas à permettre aux jeunes athlètes de participer à une compétition de grande envergure sans la pression et la couverture médiatique qui l’accompagne? Qu’ils soient les meilleurs au monde, ces jeunes n’ont pas à subir le mode de vie d’un olympien et ce, même s’ils sont les soi-disant meilleurs au monde.

Le Canada n’a pas échappé non plus à cette nouvelle mode en envoyant la nageuse Summer McIntosh à Tokyo. À 14 ans, McIntosh était sans surprise la plus jeune athlète de la délégation canadienne. Un titre qu’on lui collait à chaque fois qu’elle apparaissait à l’écran et qu’on lui faisait porter comme un badge d’honneur.

Y’a-t-il toutefois vraiment de quoi être fier d’envoyer une enfant dans l’évènement sportif le plus prestigieux et le plus suivi au monde et de l’exposer à l’attention médiatique qui vient avec? Au-delà de tout cela, posons-nous surtout la question suivante: à quel point est-ce nécessaire?

Parlant de nageuses canadiennes, j’avoue que j’étais moi-même épaté par les prouesses de Penny Oleksiak à Rio où elle a remporté quatre médailles dont une d’or à l’âge de 16 ans. Oui je l’encourageais et oui je me réjouissais de ses réussites. Je considérais cependant et considère encore qu’elle n’aurait pas du être admissible à ces compétitions.

Il est donc vrai qu’en empêchant les mineurs de compétitionner, on priverait certains sports de leurs meilleurs athlètes. On permettrait toutefois à ces athlètes d’avoir un mode de vie plus normal et de se développer adéquatement.

Le CIO ouvert à la discussion

Dans toute cette histoire désastreuse, il faut quand même souligner la réaction du président du CIO Thomas Bach face à la fin de la performance de Valieva et aux commentaires de son entraîneuse à la fin de celle-ci.

«Je dois dire que j’ai été perturbé en regardant la compétition», a avoué M. Bach en conférence de presse. Ayant lui-même été champion olympique en escrime aux Jeux de 1976, Thomas Bach est bien placé pour comprendre la pression qui repose sur les épaules d’un ou une athlète olympique. Il en a donc profité pour mentionner qu’il sympathisait avec la jeune patineuse, dont le langage corporel était selon lui signe d’un immense stress. «Elle aurait probablement préféré quitter la patinoire et laisser tout ça derrière elle», a-t-il ajouté.

«Mais ce n’est pas tout», a renchéri le président du CIO, qui s’est dit préoccupé par la froideur avec laquelle Valieva avait été accueillie par son entourage. «Tout ça ne me permet pas vraiment d’avoir confiance en son entourage […] Espérons que ce ne soit pas une expérience traumatisante pour elle.»

Espérons effectivement M. Bach, car une jeune de 15 ans ne devrait avoir à subir cela. Comment allons-nous donc pouvoir nous assurer qu’une telle honte ne se reproduise plus?

«Il y a des problèmes sur lesquels nous devons nous pencher, notamment celui des mineurs qui prennent part à des compétitions pour adultes», a avoué Thomas Bach à un journaliste qui lui a essentiellement posé la même question. Le président du CIO s’est engagé à lancer la discussion avec les différentes fédérations internationales à savoir s’il serait approprié d’instaurer un âge minimum pour prendre par aux Jeux olympiques.

Au point où on en est, vous aurez compris qu’en mon humble opinion, il faudrait mettre des normes plus strictes quant à l’âge des participants dans tous les sports et les discussions dont Thomas Bach parle ne viseront justement pas que le patinage artistique. Cependant, s’il y a bien un sport où la pression de performer est à son comble particulièrement chez les jeunes filles, c’est bien celui-là. Commencer par là serait donc un bon début

Que le CIO réalise et admette l’existence de ce problème et soit prêt à potentiellement agir afin de ne pas répéter cette erreur, c’est déjà un bon pas de l’avant et je me dois de donner un point à Thomas Bach pour cela.

Il est cependant dommage que cette réalisation survienne APRÈS qu’une jeune fille de 15 ans se soit écroulée en larmes au centre de l’anneau olympique.

Yohan Carrière

Après un stage d'exploration à RDS en 2015, Yohan Carrière débute officiellement sa formation journalistique au cégep Marie-Victorin en 2017. Aujourd'hui étudiant en journalisme à l'UQAM, il compte à son actif plusieurs collaborations, notamment à la radio et en vidéo avec L'Avantage Terrain et à l'écrit avec le magazine L'apostrophe. Il a également contribué à la couverture des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo et Beijing avec Radio-Canada. Toujours considéré par ses pairs comme un excellent communicateur, il vise aujourd'hui à mettre sa voix et sa plume au service des amateurs de sports. En tant qu'ex-joueur et entraîneur de hockey-cosom au sein du RSEQ, il garde un intérêt pour le sport-étudiant, mais se spécialise surtout dans le monde du hockey, du baseball, du tennis et de la Formule 1.

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