Histoires d’horreur à Croix-des-Bouquets

Il y a quelques semaines, plusieurs histoires tout-à-fait dégueulasses ont fait surface en Haïti, plus spécifiquement au centre d’entraînement officiel de la FHF, la Fédération Haïtienne de Football, à Croix-des-Bouquets, en banlieue de Port-au-Prince. Le président de la fédération depuis 2000, Yves Jean-Bart, mieux connu sous le nom de Dadou Jean-Bart, aurait agressé sexuellement énormément de jeunes joueuses du centre d’entraînement pendant une très longue période de temps.

Ces histoires ont été dénichées par les journalistes Ed Aarons, Romain Molina et Alex Cizmic et sont sorties dans le média anglais The Guardian le 30 avril dernier. Il y a plusieurs sources qui ont parlé comme quoi Dadou aurait carrément forcé des joueuses à avoir des relations sexuelles avec lui. L’enquête évoque des témoignages des cinq dernières années, mais on peut penser que les agissements s’étendent depuis l’arrivée de Dadou à la tête de la fédération, il y a de cela 20 ans. Les victimes, elles, selon Romain Molina, se dénombreraient en centaines.

Certaines joueuses affirment même qu’on les a forcées à se faire avorter. En Haïti, Dadou Jean-Bart est un homme extrêmement puissant. C’est une des raisons pour lesquelles ces histoires ont mis autant de temps à être découvertes.

Stratagèmes et systèmes mis en place

Selon quelques témoignages, il y aurait de véritables stratagèmes, ou plutôt des agissements répétitifs impliquant plusieurs personnes pour réussir à piéger les joueuses. Par exemple, on a dit qu’il y avait une dame qui prenait une joueuse à part pour lui dire qu’elle allait devoir quitter le centre pour une quelconque raison. La joueuse, évidemment triste, se demandait pourquoi et ce qu’elle devait faire pour rester. La dame disait qu’elle pouvait lui offrir un entretien avec Dadou et qu’il y avait un moyen qu’elle reste au centre d’entraînement.

Cela est un des moyens parmi tant d’autres pour berner les joueuses. Il faut aussi savoir que la grande majorité des jeunes qui arrivent à ce centre de formation sont extrêmement vulnérables et que les conditions de vie à Croix-des-Bouquets, quoique dégueulasses, sont souvent mieux que celles qu’avait la joueuse avant. Dadou n’agissait donc pas seul. Il y avait témoins et complices de ses agissements.

Étonnamment et heureusement, cette histoire-là a fait assez de bruit pour faire bouger les choses. Cela a pris quelques semaines, mais avec le travail acharné des journalistes qui ont déniché les histoires, le NY Times a réussi à en parler et ça a fait beaucoup d’écho en Haïti.

Question embarrassante, réponse gênante

La pression a monté et a atteint son paroxysme lorsque Dadou est allé donner une entrevue à une radio haïtienne. Lorsque l’animateur lui a posé la question : « Est-ce que vous avez eu un enfant avec une ancienne joueuse? », sa réponse fut : « Je ne répondrai pas à cette question. »

Je ne répondrai pas à cette question.

Dadou Jean-Bart, lorsqu’on lui demande s’il a eu un enfant avec une ancienne joueuse.

La FIFA, fidèle à beaucoup de fédérations, a pris énormément de temps à réagir. Molina affirme même que des gens haut placés auraient offert de l’aide à Dadou. Cependant, le 25 mai, Dadou a été officiellement banni de la fédération pendant 90 jours, le temps qu’une investigation ait lieu. On parle quand même d’un mois plus tard.

Argent disparu

Il faut savoir que lorsque les fédérations doivent prendre une décision au sein de la FIFA, un membre équivaut à un vote. Donc, Haïti, une plus petite fédération, a le même pouvoir que l’Angleterre, une des plus grosses fédérations. Alors, si la FIFA a des subventions à donner pour que les fédérations favorisent certaines de ses décisions, il est un peu plus avantageux de les donner aux plus petites. Six millions de dollars à Haïti vaut beaucoup plus que six millions en Angleterre, une goutte d’eau dans l’océan de ce géant du soccer.

Au départ de l’investigation, on voulait enquêter sur le fait que Dadou en est à son sixième mandat comme président, alors que la FIFA limite le nombre de mandats à trois. De plus, le centre de Croix-des-Bouquets venait tout juste d’être doté d’une subvention de 6 millions de dollars. Cependant, les jeunes dormaient encore 10 par chambre, sans draps, et buvaient de l’eau que les dirigeants n’oseraient même pas donner à leur chien. Où est passé cet argent? Dieu seul le sait.

Même si la situation est extrêmement gênante pour la FIFA, elle doit passer par-dessus cette mauvaise gestion et montrer l’exemple en agissant sévèrement pour que les Dadou Jean-Bart de ce monde et tous ceux qui l’ont toléré croupissent en prison.

Étienne Bouthillier

Étudiant en journalisme à l'UQAM, Étienne Bouthillier tombe amoureux du soccer lors de la Coupe du Monde 2014. Ses premiers pas dans le monde des médias remontent à 2016, où il écrit des articles pour le Kan Football Club pendant deux ans. En 2018, il se lance dans le monde du podcast avec « Les Trois Lions », un balado sur le foot anglais. Il a animé l'émission hebdomadaire du Kan Football Club sur CHOQ.ca. Il est aussi impliqué dans les activités du Royal de Montréal, l'équipe professionnelle d'ultimate frisbee de la métropole. Ses champs d'expertise sont le soccer, l'ultimate frisbee, les arts martiaux mixtes et le sport sécuritaire.

Une réflexion sur “Histoires d’horreur à Croix-des-Bouquets

  • 29 juin 2020 à 19:10
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    Merci pour ce reportage,tout le monde devrait connaître cette terrible histoire…pourquoi c’est toujours l’enfer en Haïti.Cet homme devrait être derrière les barreaux pour très longtemps.

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